Tout savoir sur le dépôt de l'état des créances

Vue cinématographique d'une bibliothèque juridique prestigieuse symbolisant le dépôt de l'état des créances.
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Lorsqu'une entreprise fait face à une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire), la gestion du passif devient la priorité absolue. Pour les dirigeants soucieux de sécuriser vos actifs dans la tourmente, la cristallisation des dettes constitue une étape charnière. Au centre de ce dispositif légal complexe se trouve le dépôt de l'état des créances, un acte juridique fondamental qui fige officiellement la liste des sommes dues par la société. Ce document n'est pas une simple formalité administrative : il détermine l'avenir financier des parties prenantes et conditionne les remboursements futurs. Que vous soyez débiteur ou créancier, la compréhension fine de cette procédure, pilotée par le mandataire judiciaire, et le respect des délais stricts devant le tribunal de commerce sont impératifs pour préserver vos droits.

Les infos à retenir

  • 🏛️ Le dépôt officialise les dettes et conditionne le droit au paiement des créanciers.

  • ⚖️ La phase de vérification permet au dirigeant de contester les montants injustifiés.

  • 📅 Une surveillance rigoureuse du BODACC est vitale pour respecter les délais de recours.

Qu'est-ce que le dépôt de l'état des créances ?

Le dépôt de l'état des créances est l'aboutissement d'une procédure rigoureuse d'audit des dettes de l'entreprise en difficulté. Il intervient systématiquement lors de l'ouverture d'une procédure collective. Concrètement, il s'agit d'un document officiel, signé par le juge-commissaire, qui recense l'ensemble des créances déclarées et admises au passif de la société. Ce dépôt possède une force juridique majeure : il confère aux créances une autorité de la chose jugée, les rendant indiscutables pour la suite de la procédure, sauf recours exceptionnels.

Sans cette validation officielle matérialisée par le dépôt au greffe, un créancier, même muni d'une facture légitime, perd son droit à participer aux éventuelles distributions de fonds (dividendes). C'est l'acte transformateur qui change une simple réclamation commerciale en un droit juridiquement reconnu dans le cadre de la faillite. Il est crucial de distinguer cette procédure de la transmission universelle de patrimoine (TUP), où la dissolution entraîne une reprise automatique et intégrale du passif par l'associé unique sans cette phase de vérification judiciaire.

Cadre juridique et opposabilité

Encadré strictement par le Code de commerce (articles L.624-1 et suivants), l'état des créances synthétise le passif. Il doit distinguer avec précision les montants échus (déjà dus) et à échoir, ainsi que la nature des sûretés ou garanties (hypothèques, nantissements) associées à chaque ligne de dette. Une fois déposé, l'état des créances devient opposable à tous : débiteur, créanciers et caution.

La phase cruciale de vérification du passif

Avant d'arriver au dépôt officiel, une étape déterminante de dialogue contradictoire a lieu : la vérification du passif. C'est durant cette phase que se joue véritablement le montant de la dette de l'entreprise. Le mandataire judiciaire, désigné par le tribunal, réceptionne les déclarations de créances envoyées par les fournisseurs, banques et organismes sociaux. Il ne les accepte pas aveuglément ; il les soumet à l'examen critique du dirigeant et des contrôleurs éventuels.

Le dirigeant est convoqué pour émettre ses observations sur chaque somme réclamée. Il peut accepter la créance, la contester partiellement (sur le montant ou les intérêts) ou la rejeter totalement. Pour naviguer dans cette complexité comptable et juridique, l'assistance d'un expert-comptable en libéral ou d'un avocat spécialisé est souvent déterminante pour ne pas valider des dettes prescrites ou déjà réglées.

Le rôle pivot du mandataire judiciaire

Personnage central, le mandataire agit comme un filtre impartial. En cas de désaccord entre le débiteur et un créancier (par exemple, un fournisseur réclamant 15 000 € alors que la comptabilité n'en justifie que 12 000 €), le mandataire tente une conciliation. Si le désaccord persiste, le litige est tranché par le juge-commissaire. Le mandataire a également la lourde tâche de vérifier les privilèges, ce qui impactera l'ordre des paiements futurs.

Distinction entre créanciers privilégiés et chirographaires

Lors de la vérification, une attention particulière est portée au rang des créanciers. Les créanciers privilégiés (Trésor public, URSSAF, salariés via l'AGS, titulaires de sûretés) bénéficient d'une priorité de paiement absolue sur les créanciers chirographaires (fournisseurs classiques sans garantie). L'état des créances doit refléter scrupuleusement cette hiérarchie, car en cas de liquidation, les fonds sont rarement suffisants pour désintéresser les chirographaires.

Procédure et délais du dépôt au Tribunal de Commerce

La rigueur temporelle est l'essence même des procédures collectives. Le Code de commerce impose des délais pour éviter que la procédure ne s'enlise. Le mandataire judiciaire dispose théoriquement d'un délai fixé par le tribunal pour achever la vérification des créances, généralement dans les 12 mois suivant le jugement d'ouverture de la procédure. Ce délai peut être prorogé par le juge-commissaire si la complexité du dossier l'exige.

Une fois le travail de vérification terminé, le mandataire dresse la liste des créances (l'état) contenant ses propositions d'admission ou de rejet. Cette liste est soumise au juge-commissaire qui la signe : on dit qu'il "arrête" l'état des créances. Le document est alors physiquement déposé au greffe du tribunal de commerce. Ce dépôt marque le point de départ officiel des délais de recours pour les tiers.

Architecture intérieure majestueuse d'un tribunal de commerce moderne.

La procédure solennelle au Tribunal de Commerce

L'importance de la publicité au BODACC

Le dépôt au greffe ne suffit pas à informer le public. Le greffier doit publier une insertion au Bulletin Officiel des Annonces Civiles et Commerciales (BODACC). Cette publicité légale est le signal officiel qui déclenche le compte à rebours. Une erreur fréquente chez les créanciers est d'attendre une notification personnelle par courrier : or, c'est la publication au BODACC qui fait foi pour les délais de réclamation. Une surveillance active des annonces légales est donc vitale.

Contestation de créance : comment et quand agir ?

L'état des créances, bien qu'officiel après son dépôt, n'est pas immédiatement gravé dans le marbre. Cependant, la fenêtre de tir pour agir est extrêmement réduite et la procédure est technique. La contestation de créance ne s'improvise pas et doit être juridiquement motivée (paiement déjà effectué, prescription, défaut de qualité à agir, absence de justificatifs).

Si une partie estime qu'une décision du juge-commissaire lui porte préjudice (par exemple, le rejet injustifié d'une créance déclarée), elle doit former une réclamation. Attention, cette démarche contentieuse se fait par déclaration au greffe et obéit aux règles de la procédure civile.

Le délai de réclamation des créanciers

Les tiers et créanciers dont la créance a été rejetée ou admise pour un montant différent disposent d'un délai strict d'un mois à compter de la publication au BODACC pour formuler une réclamation contre l'état des créances (Article R.624-8 du Code de commerce). Passé ce délai, toute action est forclose : la décision devient définitive et inattaquable. C'est ce qu'on appelle l'autorité de la chose jugée.

Les voies de recours pour le débiteur

Le dirigeant débiteur dispose également de voies de recours. Il peut faire appel de l'ordonnance du juge-commissaire s'il estime qu'une dette a été admise à tort, gonflant ainsi artificiellement le passif de son entreprise. Ce recours doit être exercé dans les 10 jours suivant la notification de l'ordonnance. C'est un levier stratégique pour réduire le poids de la dette avant l'élaboration d'un plan de redressement.

« Le dépôt n'est pas qu'une formalité, c'est la cristallisation irréversible du passif. Pour les créanciers, manquer la publication au BODACC transforme une créance légitime en perte sèche. La vigilance sur les délais de réclamation est le seul rempart contre l'extinction de vos droits. »
M
MACEO DELESMILLIERES
Expert en procédures collectives

La maîtrise du calendrier judiciaire est aussi importante que la solidité du dossier comptable dans une procédure collective. Le dépôt de l'état des créances représente le "moment de vérité" où le passif de l'entreprise devient une réalité juridique tangible et opposable à tous. Pour le dirigeant, c'est la base de calcul de son futur plan de remboursement sur 10 ans ; pour le créancier, c'est la confirmation - ou la négation - de son droit à être payé. Ne négligez jamais la surveillance des publications au BODACC, car le délai de forclusion d'un mois est fatal aux retardataires. Une veille juridique active et une collaboration transparente avec le mandataire judiciaire restent vos meilleurs atouts pour préserver vos intérêts financiers face au tribunal.

Foire Aux Questions (FAQ)

Que faire si j'ai raté le délai de déclaration de créance ?

Si vous n'avez pas déclaré votre créance dans les 2 mois suivant le jugement d'ouverture, vous êtes forclos. Votre seule chance est de demander un « relevé de forclusion » au juge-commissaire dans un délai de 6 mois, en prouvant que le retard n'est pas de votre fait (ex: absence d'avertissement obligatoire pour les créanciers connus).

Les salariés doivent-ils déclarer leurs créances au passif ?

Non, les salariés bénéficient d'un régime protecteur. Ils sont dispensés de déclaration. Le mandataire judiciaire établit directement le relevé des créances salariales à partir des livres de paie, qui est ensuite vérifié par le représentant des salariés avant d'être visé par le juge-commissaire.

Qui paie les frais liés à la vérification et au dépôt des créances ?

Les frais de procédure, y compris la rémunération réglementée du mandataire judiciaire pour la vérification du passif et l'établissement de l'état des créances, sont considérés comme des frais de justice. Ils sont prélevés prioritairement sur les fonds disponibles de l'entreprise débitrice.

Peut-on contester une créance après le délai d'un mois suivant le BODACC ?

En principe, non. Le délai d'un mois est un délai de forclusion qui éteint le droit d'agir. Une fois ce délai passé, l'état des créances est définitif. Seules des situations très exceptionnelles (fraude avérée) pourraient éventuellement permettre une action, mais la voie normale est close.

Publié le : 29/11/2025